Le projet de renaturation de l’Aire s’est superposé à bien des désirs exprimés pendant de nombreuses années dans les communes concernées.
Il est certain qu’en partie il a répondu à de nombreuses attentes, tout particulièrement par la réduction du trafic motorisé entre Certoux et Lully, où le nouvel espace de la rivière a pris la place de l’ancienne route. A Confignon, c’est la suppression de la route de Mourlaz qui a permis de réaliser cette «plage de Confignon» espérée depuis longtemps par les autorités communales. A Certoux, la construction d’une passerelle piétonne doublant le pont de Certoux a amélioré la sécurité de la promenade. Le réaménagement de la promenade de l’Aire, en supprimant le trafic des véhicules et le revêtement de bitume, forme aujourd’hui avec la suite des jardins de l’ancien canal, un nouvel espace public rural de grande qualité. Tout un réseau paysager nouveau est aujourd’hui accessible à un nombreux public, qu’il vienne des communes avoisinantes ou de la ville.
Dans les rapports entre les personnes en charge de la réalisation et les habitants, ceux-ci ont parfois joué un rôle décisif dans les décisions prises. Ce fut le cas dans plusieurs cas de refus d’abattages d’arbres proposés par les spécialistes, auxquels les habitants ont réussi à s’opposer par deux fois. D’abord en exigeant non seulement le maintien de l’alignement de peupliers d’Italie le long du canal, ce qui fut acquis après de rudes discussions, mais encore la replantation par phases successives de nouveaux peupliers en remplacement des abattages nécessaires pour des raisons de sécurité. Il en a été de même pour le maintien exigé par les habitants, et soutenu par les autorités communales, de l’espace public dit du «Pré des noyers» sur la commune de Perly-Certoux, C’est donc un dialogue complexe – comme toujours avec la participation – parfois très tendu, mais en définitive toujours fructueux, qui a eu lieu pendant les vingt-trois années de la réalisation du projet de l’Aire.
Mais aujourd’hui comment juger de la réception de ce projet par les visiteurs, habitants des villages ou citadins en quête de calme, par les scientifiques, les associations de protection de la nature? Il faut se souvenir pour cela de temps différents, tout d’abord de celui de l’exposition des résultats du concours dans la salle de réunion de Confignon, du choc ressenti par de nombreuses personnes devant l’impact du projet sur le paysage. Pourtant, dès ces premiers échanges il est apparu que sa nécessité était reconnue par beaucoup, scientifiques, écologistes ou amoureux de la nature, tous critiques d’une situation lamentable de l’état de la rivière et de ses rives, et que ces personnes par leur conviction deviendraient des partenaires résolus du projet. Pour dépasser ces blocages, et les difficultés de faire comprendre le projet, de pallier à l’abstraction des plans et documents techniques, d’autres rencontres eurent lieu, où purent s’exprimer d’autres approches, plus sensibles, plus empathiques avec les sentiments des communautés locales.
C’est toute l’épaisseur d’un paysage culturel, avec toutes ses composantes, fruit du travail des hommes autant que des forces du vivant, qui devait être présente dans nos propositions, montrant que notre projet était plus riche qu’une simple réponse technique, fût-elle bio-technique. C’est la raison profonde de la double composante du projet, le nouvel espace de la rivière et la suite des espaces publics qui l’accompagnent: faire que cette expérience de régénération de la rivière puisse être partagée et ressentie par les visiteurs comme une preuve que des changements sont possibles, que le projet parvienne à dire «voilà ce que nous avons en vue». Face à l’état dégradé des milieux naturels de la rivière, le refus de tout catastrophisme, et la conviction que des relations plus riches entre humains et non-humains, avec l’ensemble du vivant, sont encore possibles, et qu’il est temps d’agir.
Les problèmes du réchauffement climatique, de la biodiversité, de la pollution, ceux de la question de l’eau en particulier, sont très présents et connus aujourd’hui. Pourtant les changements nécessaires sont lents à se réaliser. Ecoutons ce que nous dit le glaciologue Jean-Baptiste Bosson: «On sait ce qu’il en est, mais la question demeure d’être capable d’écouter, de comprendre, de trouver ce qui peut nous mettre en mouvement, et le plus important est d’avoir des apports variés, de scientifiques, mais aussi d’artistes, de sportifs, d’habitants, d’enfants. C’est entrer en résonance avec l’histoire de la vie, l’histoire de notre planète, de son climat, c’est se rendre compte que l’on peut en faire partie, que l’on peut être invité à la fête. Que l’on peut ne pas tout détruire, que l’on peut être un élément qui transforme positivement un état du monde, qui prend soin des choses, qui n’efface pas ce qu’il regarde et qu’il fréquente, et que tout cela fait du bien, que cela rend heureux.»
Georges Descombes
architecte
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