La collégialité dans un exécutif

Installez à l’Exécutif d’une Mairie trois personnes d’horizons, de croyances et d’idées différentes que rien ne prédisposait jusque-là à réfléchir, travailler et décider ensemble.  Elles[1]ont été élues par leurs concitoyens pour imaginer, discuter et réaliser un projet commun : assurer un cadre de vie, imaginer et concrétiser des conditions rendant le vivre ensemble possible à l’échelle de leur commune dans le respect des lois et règlements en vigueur. Une gageure ?

J’ai vécu cette situation au cours de trois législatures au sein de l’Exécutif de Confignon. De référence socialiste, de gauche, j’ai travaillé avec deux collègues élus sur des listes de droite.

Un but commun : Les trois membres de l’Exécutif ont été élues et aucune d’entre elles ne peut prétendre représenter l’opposition ; le but qui leur est assigné est commun et aucun des groupes politiques que chacune représente ne peut se targuer d’être plus légitime qu’un autre.

Pour gouverner ensemble, il est indispensable de réfléchir à ce que peut être le « bien commun » pour ses concitoyens, définir et construire ensemble un projet commun de société qui en résulte. Entreprise risquée exigeant un certain nombre de lignes de conduite.

Tout d’abord, proposer ouvertement ses idées et ses valeurs, argumenter et débattre, convaincre, parfois séduire, mais tout autant écouter et comprendre, s’ajuster : des ingrédients nécessaires pour parvenir à un compromis acceptable, un « arrangement dans lequel on se fait des concessions mutuelles ». Parfois bien sûr, il arrive qu’on ne parvienne pas à ce consensus et qu’il faille départager les avis au travers d’un vote dans lequel l’une des exécutives se trouve minorisée.  Renoncer à une idée représente un deuil, souvent pénible, parfois blessant, toujours amer.  J’en ai quelques souvenirs ! Pourtant, même dans cette situation, la décision arrêtée devient commune à tout l’Exécutif et doit être publiquement défendue comme telle.

Sans la volonté de toutes d’adopter cette forme de culture consensuelle qui peut paraître un peu molle, mais qui permet de faire coexister convictions, écoute et adaptations réciproques, seul le vote à la majorité permet de départager le repli de chacune sur des positions ressenties comme irrévocables, intouchables. Cette autre posture peut parfois conduire au  référendum, procédure induisant ralentissement de l’action, scission et conflits dans la population.

Même si les trois membres de l’Exécutif ont été élues pour représenter certaines options politiques, je suis convaincue que pour que certains sujets sensibles, certains projets d’envergure, liés au « bien commun », visant un plus de bonheur, deviennent communs au plus grand nombre, fédérateurs, il est indispensable de se donner les moyens d’en débattre avec les citoyens, de recueillir leur opinion comme facteur constitutif de la décision.  Pour élaborer un plan directeur communal, repenser l’aménagement d’un quartier, par exemple, il me semble légitime et indispensable de mettre en place des démarches concrètes pour écouter celles qui vivent la Commune, prendre en compte leur réalité communale. Je suis persuadée que c’est parce que les élues trouveront des moyens pour que chacune ait la liberté de dire sa pensée, mais aussi l’obligation d’écouter celle de l’autre, que ces objectifs pourront devenir communs et que chacune osera changer un peu son point de vue pour s’ajuster à celui de sa voisine.

Il s’agit d’une démarche complexe que j’ai pu expérimenter tout d’abord avec les Conférences du Futur en 2004 ; les idées recueillies à cette occasion nous ont accompagnées tout au long de l’élaboration du Plan directeur communal de 2006. C’est au travers de forums participatifs qu’en 2009 nous avons débattu ensemble de l’espace public et de ses fonctions pour le réaménagement de la Place, réflexion qui ont débouché sur un nouveau cahier des charges à ce sujet. Cela me confirme dans l’idée qu’une telle démarche, un tel engagement citoyen est non seulement possible, mais encore riche, productif et fédérateur. 

La collégialité ? L’autorité collégiale est un principe constitutionnel (art. 77 de la constitution fédérale) :  les trois membres de l’Exécutif sont égales en droit et constitue un collège au sein duquelelles exercent leurs fonctions gouvernementales. Elles y sont conjointement responsables de toutes les affaires gouvernementales. C’est ensemble que face à l’extérieur elles doivent assumer les responsabilités et les décisions qu’elles prennent ensemble. Dans cette situation, elles doivent s’efforcer par tous les moyens de parvenir à une entente malgré tout ce qui peuvent les séparer. Honnêteté, bonne foi, ouverture, confiance sont les qualités essentielles et incontournables pour mener cet exercice à bien. 

Les discussions de l’Exécutif ne sont pas publiques : la confidentialité y est la règle, une confidentialité nécessaire pour que chacune ait la liberté d’avancer des idées, d’argumenter, de débattre… 

La décision ne devient publique que quand le collège exécutif communique ses conclusions au Conseil municipal. Jusque-là, il est soumis au secret de fonction, une règle incontournable dont la violation est pénalement poursuivable.

Référendum : Ce droit est inscrit dans la loi sur l’administration des communes.  « Il permet de demander qu’une délibération du Conseil municipal soit soumise à la votation populaire ».

Durant mes mandats à la Mairie, j’ai vécu deux référendums, l’un contre la construction d’un nouveau centre communal impliquant la disparition de l’ancienne école, l’autre lié au crédit voté par le Conseil municipal pour la rénovation de la Maison Berthier-Troullier devenue l’actuelle Mairie.

Dans les deux cas, aucun membre de l’Exécutif ne faisait partie du comité référendaire, le projet étant assumé et défendu en commun  par l’ensemble de l’Exécutif et du Conseil municipal. Ce sont des habitants, mécontents des décisions de leurs élues, qui les avaient contestées au travers de leur droit de référendum.  Pour les politiques de l’Exécutif et du Conseil municipal, la défense d’une position commune n’était dès lors pas très compliquée, ils ont toutefois été minorisés. Si avant de prendre leur décision, ils avaient trouvé les bons moyens pour discuter de leurs choix avec la population, aurions-nous pu échapper au référendum ?  Aurions-nous évité tout un lot de disputes entre clans, d’échanges de tout ménages virulents, voire haineux ?

Aujourd’hui, Confignon va vivre un nouveau référendum.  Cette fois, la situation est différente.  Un des groupes politiques représentés au Conseil municipal et à l’Exécutif en est le promoteur. Faillite de la collégialité ? Toutes les élues ont-elles réellement cherché une solution de compromis ? Divisées au sein de l’Exécutif et du Conseil municipal comment vont-elles défendre/démolir un projet qui ne leur est pas commun ?  Où et la vérité ? Qui a raison ? Qui a tort ?  Où est le plus de bonheur pour tous ?

Je suis inquiète.  

Françoise Joliat – Conseillère administrative de 1999 à 2011


[1] Pour faciliter la lecture, le pronom « elle » représentera à la fois le féminin et le masculin.

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